Gustave Samazeuilh
(Bordeaux, le 2 juin
1877 – Paris, le 4 août 1967)
|
Extrait de La musique française de piano, par Alfred Cortot
Avec le Chant de la Mer de Gustave Samazeuilh, à l’analyse duquel se verra
consacrée la suite de ces remarques, le problème de la traduction instrumentale
demeure tout aussi ardu, mais il se voit situé sur un plan imaginatif de nature
à en faciliter quelque peu la solution.
Composé en 1918-1918 sur la côte basque
– soit dans le même temps que les Variations
de Pierné – ce triptyque sonore interroge en effet un domaine de sensations
déterminées qui trouve dans l’emploi de certains artifices pianistique que l’on
pourrait dire spécifiques à l’instrument, les éléments d’une représentation
sonore naturellement suggestive.
Et, pou y jouer un rôle capital, la
virtuosité s’y voit moins requise pour elle-même, comme c’est le cas pour les
Variations où elle détient un privilège décoratif indispensable à l’économie
musicale du morceau, que par rapport aux impressions poétiques qu’elle est
chargée d’évoquer pour l’auditeur. Celui-ci, au reste, a pu, en quelques
occasions, prendre connaissance des intentions de l’auteur concernant la nature
des visions ou des sentiments dont ce vaste « poème symphonique »
pour piano reflète les aspects ou les tendances.
Voici, extrait d’une notice dont la
publication a quelquefois servi dans les programmes à favoriser l’intelligence
de l’œuvre, un résumé de son postulat idéologique :
« La première partie : Prélude, décrit un Océan majestueux,
paisible et comme énigmatique. La seconde : Clair de lune au large, expose, indépendamment des thèmes de
sérénité nocturne, un thème d’émotion humaine qui, au cours du morceau final,
longuement développé, prend peu à peu toute sa signification expressive et se
combine aux idées de caractère évocateur qu’indique le titre : Tempête et lever du jour sur les flots ».
Rien, comme on le voit dans cet
argument volontairement indéfini, qui puisse faire conclure à un recours au
genre « musique imitative » et encore moins « musique
anecdotique ».
Il s’y agit bien davantage d’un
choix de climat sonore justifiant les échanges ou les contrastes de deux thèmes
essentiels dont les transformation animeront l’œuvre tout entière ; l’un
que l’on pourrait dénommer « thème de nature » et l’autre « thème
humain ». Ce sont là les caractéristiques d’une musique véritablement « expressive »
et dont les valeurs poétiques – au sens où les peintres emploient le terme de
valeur – sont dépendantes d’un sentiment à traduire et non d’un spectacle à représenter.
C’est au reste le penchant auquel
obéira d’une manière générale la production de Samazeuilh, et des exemples
convaincants nous en seraient fournis par la lecture des autre éléments de son
apport à la littérature du clavier. L’inventaire de celui-ci ne nécessitera, et
bien à regret de notre part en considération des mérites qui s’y voient
témoignés et en font souhaiter l’extension prochaine, que quelque lignes de
sommaire énumération.
On y rencontre, dans l’ordre
chronologique, une Suite en sol, datée de 1902, interprétée par Risler à
la Société Nationale en 1903 – le même soir que les Variations de Paul Dukas, dont c’était également la première
audition – retouchée et rééditée sous sa nouvelle forme en 1911.
Puis, et complètement libérée des
préceptes de la rue Saint-Jacques, une sensible et rêveuse évocation vespérale,
intitulée Naïades au Soir, dont j’eus l’amical privilège d’assurer la
révélation à la Société Nationale en 1911 et qui offre cette particularité de
préfigurer à la fois, dans l’entrelac de ses harmonies raffinées, le motif de
la Danse de la Péri de Paul Dukas et
le thème des Nymphes de Daphnis et Chloé,
de Maurice Ravel.
Puis encore, une vivante adaptation
de la pittoresque Sérénade pour guitare,
dédiée à Segovia, datée de 1925, et enfin un Nocturne à la mémoire de Gabriel Fauré, édité en 1938, réplique
librement traitée du poème pour orchestre qui, sous la dénomination de Nuit, s’est assuré à maintes reprises la
faveur décidée du public et de la critique et dont la tendance imaginative se
rattache par certaines côtés à celle du Chant
de la Mer, traduisant de même un sentiment humain qui s’exprime, s’exalte
et s’apaise dans la sérénité nocturne, laquelle n’est pas ici le tableau, mais
le cadre.
Si, comme on le voit, la
contribution pianistique originale de Samazeuilh s’avère encore d’une
exceptionnelle abondance dans le domaine de la transcription à quoi se
rattachent incidemment – auteur et adapteur confondus ici en une seule personne
– les deux dernières pièces mentionnées au paragraphe précédent.
De Chabrier à Debussy, en passant
par Chausson, d’Indy, Lekeu, Paul Dukas et tant d’autres, il est en effet peu d’œuvres
orchestrales marquantes contemporaines qui n’aient retenu l’attention de Samazeuilh
en vue de leur appropriation aux diverses modalités de l’exécution pianistique :
piano seul, piano à quatre mains et deux pianos.
Envisageant sommairement l’ensemble
de ces utiles travaux de diffusion, on peut évaluer leur nombre à environ
quatre-vingt, portant sur vingt-cinq auteurs différents. Et leur traducteur ne
s’es pas seulement satisfait d’élire, pour les rendre plus familiers par une
rédaction qui les met ainsi à la portée du plus grand nombre, les musiciens qui
honorent si grandement notre école nationale. Il s’y est également employé, par
une experte industrie, à les faire bénéficier de toutes le équivalences
instrumentales qui permettent au mieux de suggérer les timbre de la symphonie.
On peut donc, a priori, et fort de ces antécédentes, se voir assuré de la qualité
du procédé d’ordre matériel auquel s’est conformée la rédaction du Chant de la Mer, représentant jusqu’à
présent l’exemple le plus significatif de la participation de Samazeuilh au
répertoire de la virtuosité transcendante.
Les commentaires qui lui sont
consacrés dans les pages suivantes n’ont pour but que d’en définir les particularités
caractéristiques, fût-ce au prix d’un dépassement involontaire des limites
assignées par l’auteur aux tendances suggestives de son œuvre.
Mais, je connais d’assez longue date
le sentiment compréhensif qu’il professe à l’endroit des prérogatives
imaginatives des interprètes, particulièrement soucieux de pénétrer les mobiles
secrets d’une inspiration musicale, pour me supposer, par anticipation, nanti
de son tacite assentiment.
[…]
Alfred
Cortot, La musique française de piano, Presses Universitaires
de France, Paris 1981, « En marge de deux œuvres pianistique
contemporaines : Variations : Gabriel Pierné. Le Chant de la Mer : Gustave
Samazeuilh», pp. 748-753